En fouillant dans son cabinet de curiosités, le Professeur Boilot met à jour un recueil de chroniques dont il relate ici les meilleures feuilles. Signé d'un simple B, ces écrits proviennent d'une époque récente. De l'oeuvre d'un homme, d'une femme ou encore d'un membre de la famille du professeur, le mystère demeure mais n'en gache pas le plaisir de les découvrir...

jeudi 14 octobre 2010

L'intérêt du double des clés de bagnole

A la lecture du bulletin de notes trimestriel de mon neveu Adam, je fus surpris de lire dans la case « observations » du prof de mathématique : manque d’organisation du travail. Il souffre certes d’une légère absence de rigueur mais c’est un bon gamin de 16 ans, largement au dessus de la moyenne question intellect. La surprise fit ensuite place à l’effroi total à la lecture de la case réservée au prof de sciences naturelles (cher à son oncle) : besoin d’organiser ces connaissances.

Il faut savoir qu’en France et à travers le monde, nous avons besoin d’ordre et d’organisation. La Loi et l’Ordre dit-on. Ce rappel à l’ordre durant mes années scolaires, je n’en garde pas réellement un bon souvenir non plus.

Une société peut-elle alors se passer d’ordre et d’organisation ?

J’aime à imaginer une société, il y a très très longtemps dans une galaxie lointaine, avec des individus doués d’une connaissance de tous les savoirs (y compris la physique quantique et la théorie des cordes) et pour qui les secrets de l’univers ne sont pas une barrière infranchissable. Or malédiction, malgré leur sagesse et en dépit d'un langage riche et généreux, ils ne possèdent pas la connaissance de l’ordre et de l’organisation. Donc ne sachant pas comment démontrer, classer et transmettre les savoirs, ils étaient sans cesse obliger de recommencer à les découvrir.

Illustrons cette hypothèse un tantinet dingue avec des personnages connus et imaginons la scène : Julien, le fils de mon voisin (qui dans la réalité est franchement décérébré), découvre dès l'âge de 14 ans les lois de la thermodynamique des fluides en faisant voler son ballon de baudruche grâce à la chaleur émisse par l'incendie accidentel de son chat.  Mais voilà, il se retrouve incapable d'expliquer ses fulgurances à ses contemporains car il n’a pas accès à un système de classement des idées. Ces bonhommes seraient alors condamnés à tout savoir des lois de la nature mais ne pouvant en parler aux autres personnes, ne sachant comment l’exposer par manque d’ordre et d’organisation des connaissances, personne ne saurait que les autres savent aussi. L’horreur absolue !

Alors, conscient que tout part à vau-l’eau, ils décident de se réunir et prennent une décision irrévocable : ils décident d’oublier tous leurs savoirs et ils commenceront par le commencement, à savoir découvrir l’ordre, la classification et la transmission de pensées écrites ou orales. Si cette vision très linnéenne de la nature humaine, oublie évidemment la reproduction par mimétisme des savoir-faire, c’est pour conserver notre postulat de base : l’ordre c’est le commencement.

Or en France, on aime le désordre et surtout disserter du bien-être du désordre à la française tout en valorisant les prouesses françaises en matière d’ordre.

Lors d’un voyage homérique en Poitou-Charentes, je fus invité à disserter de l’intérêt de la classification, dans un monde qui se complait à ranger toutes formes d’art, de pensée, de culture, d’êtres vivants dans des boîtes. Partageant le crachoir avec deux éminents sociologues spécialistes du syndrome « boîteux », je me suis très vite retrouvé à évoquer un souvenir éloquent sur notre besoin de classer.

Devant une audience de costards bas de gamme stupéfaite, je vins à raconter que mon père n’était pas homme à respecter l’ordre enfin l’ordre des autres. Je me mis à évoquer le jour des 60 ans de ma grande cousine Betty (je devais alors avoir une pénible dizaine d’année), où il arriva une mésaventure que toute famille a connu : nous avons perdu (oui nous car mon père n’aurait jamais admis qu’il a perdu) le double des clés de la voiture familiale.

Evidemment, le trousseau principal était tombé accidentellement des poches de mon père la veille, d’où l’agitation qui s’en suit. Toute la famille s’est donc mise à la recherche de ce fameux double qui était censé être rangé bien soigneusement dans un endroit facile à se rappeler. En passant en revue soigneusement et dans le détail toutes les choses retrouvées lors de ce grand rangement (tout sauf le double), je sentis une certaine impatience de la part de mon auditoire à entendre ma conclusion.
Afin de ne pas donner des envies suicidaires aux quelques rescapés de cette interminable conférence, je m’empressai de raconter que nous n’avons jamais retrouvé le double de clé d’où le besoin de bien ranger ses affaires. Le monde était sauf et les certitudes préservées de toute remise en cause.

Avec le recul, je me suis souvent dit que mon père avait perdu le vrai trousseau et le double ou que le rangement avait tellement changé de place qu’aujourd’hui le double doit toujours s’y trouver. En dépit de toute cette histoire, si nous avions été aux 60 ans de ma cousine Betty, ma mère n’aurait peut être jamais eu autant d’aide pour ranger la maison, elle n’aurait probablement jamais découvert une veille édition du « Tour du monde en 80 jours » dans le grenier qu’elle m’offrit pour mes onze ans, je n’aurais sans doute jamais eu la révélation ce jour là que des mots pouvait amener à de si intenses émotions et j’aurai probablement été assis dans la salle lors de cette conférence et non pas au perchoir.

Dans un sens, je béni ce jour où le désordre à la française m’a permis de mettre de l’ordre dans ma vie.

B.

GREVE, BOULOT, DODO

L'une des choses qui manque le plus à un français lorsqu'il vit à l'étranger c'est le fromage. Personnellement, je ne goute pas le fromage. Suis-je pour autant un mauvais français ? On peut en débattre. Dans tous les cas, ce genre de discussion sur le manque des petits riens de sa terre natale, on les partage des centaines de fois lorsque l'on est invité par des amis locaux. Pour être poli, j’ai du me résoudre à trouver un substitut à ce fameux manque. Ne pouvant trancher entre un Saint-Estèphe, le pâté en croute lorrain et les vides greniers made in France, j’ai souvent pris le contre pied de mes hôtes en leur sortant de longues tirades sur ce qui me manquait le moins. Et sans trop y penser, j'ai répondu une bonne centaine de fois les perturbations dues aux grèves dans les transports en commun.

Ayant résidé dans la chienlit parisienne durant plusieurs années, je suis fier d’avoir compté parmi la horde d’usagers fous de colère lors des grèves des transports publics. Et vu la cadence des grèves, on se surprend à crier souvent contre ces braves gens des transports.

Pour mes hôtes étrangers, je me suis souvent gardé de leur tenir de longs discours politisés sur le bienfait ou pas des grèves à la française ou sur le fait qu'un français passe plus de temps à manifester qu'à lire des livres. Il est évident qu’il ne servait à rien d’apporter de l’eau aux moulins de mes hôtes quant aux clichés qu’ils avaient déjà sur mes compatriotes.

Une chose surprenante toutefois. Lorsque des pays étrangers connaissent des mouvements de protestation sociale (rien à voir avec des pays qui traversent une crise profonde des institutions ou un renversement d’Etat qui amènent violence et drame humanitaire), le quidam étranger aiment à disserter du souffle libertaire des manifestations ou de la revendication des grévistes avec un français. Notons que pour toute personne vivant en dehors des frontières françaises, elle suppose que chaque français en connaît un rayon sur les tenants et aboutissants d’une grève, voire d’une révolution. Et comme chaque français aime à exposer son point de vue, même quand on lui demande pas, ça devient un pied total de laisser cour à son égocentrisme le plus exacerbé.

Ainsi, j'ai plusieurs fois exposé, à une audience docile et bienveillante, les rudiments de base d’une bonne vieille grève à la française (ce que je ne ferai pas ici). Mais là où j’avoue avoir pris un plaisir non dissimulé, c’est à rapporter des anecdotes et des tranches de vie de personnes qui ont galéré pendant ces intenses moments où l’on prend sur soi.

C’est comme cela que je me suis amusé à évoquer, pelle mêle, la manière dont chaque personne doit se transformer en Peter Pan pour espérer se rendre à son travail, les hordes de cyclistes sauvages, les scooters sur les trottoirs, les trottinettes sur les scooters, les bus qui ne s'arrêtent plus pour éviter de dépasser les 50 miles à l'heure et échapper ainsi à une atroce explosion, les divorces annulés, les farandoles de coups de poing qui volent pour éviter les coups de matraque de la marée chaussée, les bousculades, l’hypocrisie des politiques et des syndicats au Journaux télévisés du soir, les illusionnistes qui essayent de trouver une place dans les rames pleines à craquer des métros, les marcheurs d'un ou deux jours, les concerts annulés, les déménagement qui n'arrivent pas, les fêtes d'anniversaire qui n'ont pas lieu, etc.

De tout cela j’ai conservé une liste improbable de choses qu'on ne peut pas (plus) faire en cas de grève dans les transports en commun en France. Celle-ci m’a évitée des repas trop long, de conclure une discussion prolixe et qui m’a procurée de bien belle rencontre, mais ça c’est une autre histoire.

Voici donc les 20 choses (complètement inutiles et subjectives) que nous ne sommes plus censés faire en cas de grève des transports en commun en France :

1. Manger un sandwich thon-mayo dans le métro,
2. Avoir une place assisse dans le Paris-Rennes de 17h50,
3. Arriver à l'heure pour son vol de 08h20 à destination de Frankfort,
4. Louer un velib, un velove ou un vélo à louer tout simplement,
5. Aller travailler de bonne humeur,
6. Quitter le bureau de bonne humeur,
7. Prendre les enfants en sortant du bureau,
8. Rentrer chez soi avant 22h,
9. Rouler à plus de 15km/h dans les rues,
10. Rouler dans les rues,
11. Repasser une chemise propre pour le lendemain,
12. Cuisiner un cake au pain d'épices pour le pot de départ d'André le portier de sa boite,
13. Se rendre chez sa grand-mère près d’Issoudun,
14. Recevoir un colis de France loterie,
15. Regarder un bon film à la télé dans un aéroport,
16. Discuter de l'intérêt de la grève avec un gréviste,
17. Comprendre un étudiant qui fait la grève,
18. Se poser des questions sur son avenir,
19. Faire un footing et croiser le Président de la République,
20. Manger des pétoncles et une glaviole avec votre vieil oncle Philibert (car vous avez perdu son numéro et son adresse et comme il n’y a pas de transport, etc.)


Si cette liste a souvent fait rire ou pleurer mes hôtes, je garde en mémoire une question qui fit suite à l’énoncé de cette liste. Je m’en rappelle plutôt bien car finalement je n’ai jamais su quoi répondre : « est-ce que tu crois que le monde va s’arrêter de tourner parce qu’il y a 1% de la population mondiale (la France donc) qui s’est mis en grève ? ».

Comme quoi on ne se fait pas toujours de bons amis à l’étranger !

B.

mercredi 13 octobre 2010

SANG MÊLÉ

Le dimanche, conventionnellement, il y a du sport dans les stades et pire à la télévision, peu importe où l’on vit sur cette planète.

Le fils de mon voisin, intitulé Julien, est venu nous vendre il y a quelques semaines un calendrier de son nouveau club de rugby, sa dernière folie en terme d'activités sportives. Je précise un calendrier sobre avec des photos des différentes sections du club.

A bien des égards, le fils du voisin est un sujet permanent de franches rigolades que l’on s’octroie en famille. Si c’est peu charitable de notre part, il a pour lui d’être un garçon bien élevé et poli mais faisant preuve d’une absence totale de compréhension des choses. Bref c’est un fonceur qui ne s’élève pas franchement au dessus de la mêlée. Avec ses qualités et ses défauts, le garçon s’était donc mis en quête d’un nouveau sport où il pourra se dépenser sans compter au lieu de prendre ses petits camarades comme terrain de jeu à défricher à grands coups de tatanes.

Ce gaillard de 15 ans et son mètre 85 cm pour 80 kilos, est également du genre batailleur, ce qui n’est pas pour me déplaire quand il s’agit d’engager une discussion. Et je n’ai pas pu m’abstenir d’engager avec lui un passionnant récit sur l’histoire du rugby. Ca devait être évidemment un dimanche.

Bille en tête, au risque de lui déclencher une furieuse paralysie du lobe droit, je lui annonce que le rugby se joue à 16 et non à 15. A ce moment précis, j’ai pu lire dans ces yeux une certaine compassion pour le non amateur de sport que je suis. Il eu la politesse de ne pas me balancer au visage : « hé grand père, tu sors d’où ? T’as un problème de lentilles ou tu n’as jamais remarqué que le rugby à 15 se joue toujours à 15 ? »

Pour les initiés ou les amateurs, excepté le fils de mon voisin, nous avons tous été tentés de répondre à cette question ôh combien existentielle :

« Pourquoi 15 et pas 16 joueurs ou à un nombre encore plus élevé de joueurs ? »

A la suite de recherches pointilleuses et éclairées, j’ai pu donc lui exposer mes explications, aussi farfelues soit-elles.

« ça se joue pas à 22 car sinon c’est le bordel, on n’y voit plus rien »
« en fait au début ils étaient 16 mais c’est la mère d'un certain Tom Cunningham qui voulait pas qu'il joue et qui l’a puni»
« deux équipes de 16, ça fait 16 et 16 = 32 et ça n’existe pas dans le calendrier »…

Toutes ces approximations étaient assurément très loin de la vérité, quoique la dernière aurait eu de la gueule.

Dans les manuels d’histoire du sport (future matière scolaire d'ici une dizaine d'années, j'en fais le pari), on nous dépeint ce sport comme prenant ces racines en Angleterre. Ce qui est vrai. Le rugby serait né sur les terrains de sport de la Public school de la petite ville de Rugby au sud de Leicester. Un jeune lycéen, William Webb Ellis, pose alors les premières bases de ce nouveau sport en enfreignant les règles du match de football auquel il participe et en déposant à la main le ballon derrière les buts. Le rugby fut assez longtemps réservé aux seuls gentlemen anglais avant de s’étendre dans les couches populaires et au reste du monde (merci les colonies) et donc au fils de mon voisin. Maudit effet papillon quand tu nous tiens !

Mais si cette histoire est vraie, elle n’en est que partielle. Ce jeune William Webb Ellis s’inspira d’un événement plus ancien qui a sévit dans sa ville natale.

Bien avant le 19è siècle, d’épiques jeux se déroulaient lors de la fête du village. Comme souvent, les rugbymen invitaient leurs voisins de la ville de « Melay » à se joindre à eux pour participer à la fête du village qui se déroulait sur 3 jours. A la fin de ces trois jours, les chefs des deux villages décidèrent d’organiser un jeu peu ordinaire et tout à fait unique pour l’époque. Les hommes qui avaient survécu à la débauche de victuailles et d’alcool furent réunis dans un champ. On plaçait au milieu de ce champ ce qu’il resta de nourriture, le plus souvent une panse de porc bien juteuse. L’équipe qui arrivait à s’emparer de la panse et à la mettre dans le camp adverse, symbolisé par une ligne blanche, gagnait le droit de s’encanailler avec les femmes des perdants.

Rugby gagna et devinez combien ils étaient ? 15 ?

Et non ils étaient 18. Mais parmi eux ils y avaient trois gays (non déclarés) ou gentlemen qui ont refusé leur trophée par courtoisie ou par fatigue. Ce sont au final 15 mâles qui ont eu droit de profiter des charmes intimes des femmes des perdants. Si cette légende a un arrière gout de machisme puisque les femmes n’avaient pas leurs mots à dire, quelles femmes aujourd’hui pourraient se vanter de résister à pareil sort ?

Malheureusement, ce jeu ne connut pas un essor fulgurant et on ne renouvela pas l’expérience les années suivantes par manque d’homme survivant à la fin de la fête et par manque de nourriture. Nous sommes en droit alors de nous demander comment le jeune William Webb Ellis a eu vent de cette légende ? C’est que son arrière arrière grand père fut procréer à cette occasion et que sa famille à du subir d’être considéré à Rugby comme de vulgaires sangs « mêlés ».

Quant au fils de mon voisin, je ne crois pas que cette folklorique épopée l’ait convaincu de ma bonne foi. Pas plus qu'elle l'a décidé à continuer ou à arrêter le rugby. Je crois seulement qu’il va être capable d’engendrer quelques désastres ici ou là dans les prochaines semaines. Le pire, c’est qu’il a réussi à me vendre un calendrier que je poserai à côté de la télévision pour inscrire tous les rendez-vous sportifs des dix prochains dimanche.

B.

samedi 13 mars 2010

Y en a un peu plus, j’vous laisse quand même ?

Il y deux semaines, j'ai reçu un coup de téléphone de mon ami rédacteur éditeur vaudou exorciseur qui me supplia d'accepter une invitation à la 24ème foire international du coin où viendront s'entasser des milliers de personnes, des amateurs d'orchidées aux inconditionnels du démonte pneus mécanique.

Avec une vague idée du non intérêt que pourrais m'apporter une participation à une conférence sur l'intérêt de la science dans l'évolution des techniques de vente des produits électroménagers à faible consommation électrique, cette proposition a réveillé en moi d’anciens souvenirs merveilleux de mon enfance.

Loin de moi l'envie de m'asseoir sur un divan à 2000 euros pour vous conter quelques souvenirs douloureux de mes jeunes années, mais plutôt l'irrésistible besoin de vous rapporter une drôle de tradition effectué par mes parents.

Ce gang diabolique avait pour passion de se rendre à tous ce que comptait la région de foires, de salons en tous genre afin de découvrir les dernières innovations en termes de gastronomie en altitude, de meubles en PVC ou de luminaires en papier recyclable. Ils étaient incollables sur les dernières tendances et n'hésitaient pas à rapporter des échantillons qui remplissaient le dernier rayon des placards de la cuisine ou le viel établi inutilisé de mon père.

De par mon jeune âge, ces dimanches animés étaient pour moi l'occasion d'ouvrir les yeux sur un monde incroyable bien loin des supermarchés, des cours d'écoles ou des gymnases de sport. Et quel bonheur pour un gosse de la campagne de voir venir à lui tous ces nouveaux produits qu'on se jure d'avoir quand on sera "grand".

Lors de ces foires aux bestiaux, l'occasion est trop belle pour étaler sa science et pour s’émerveiller devant l'épluche carotte à antenne parabolique. Arpentant les longues travées, ce que j'appréciais le plus ce sont les démonstrations. Je restais des heures devant le camelot de casseroles anti-adhésives sans fond, devant l'aspirateur Jules verne qui aspirerait le centre de la terre ou devant Entrax le produit détachant capable de dissoudre de la peinture industrielle en 3 secondes.

Mon monde se résumait à ces quelques mètres carrés. Je rêvais que moi-même je puisse faire rêver les foules avec mes talents de bazardeur en usant de longues litanies sur le pouvoir de faire les plus belles pelures de pommes de terre. En grandissant, je compris que derrière ce monde enchanteur, il n'y avait pas de petit lapin qui ouvrait une porte magique mais des responsables marketing qui plaçaient des produits sur un big market et qui devaient recruter les plus adroits bonisseur du monde.

Ayant discuté avec de nombreux démonstrateurs, j'ai rapidement compris qu'il fallait en lancer des phrases chocs du type "attention madame avec le IKX 4500 de la gamme "jvousabuse", votre gratin d'aubergines ne sera plus jamais raté, doré dessus et croustillant dedans pour un plaisir des yeux Madame, pour un régal des papilles Monsieur..." et qu'il fallait avoir les nerfs solides et la langue bien pendue pour espérer gagner sa pitance à la fin de la semaine.

En arrivant donc à cette fameuse foire, je fus accueilli comme il le fallait par le responsable de la communication et des manifestations à but lucratifs du salon, le délégué aux évènements intra-muros du consortium des bailleurs de fonds de la foire, le préposé municipal qui jouait le rôle du délégué municipal de service, et d'une batterie de commerciaux provenant de toutes sortes de sociétés en tout genre inviter à participer à la conférence.

Ma place au milieu de cette horde de lycaons affamés me laissait perplexe. Alors quitte à en faire parti, autant essayer de trouver le moyen de s'amuser. J'avais rebaptisé chacun de mes confrères de table. "Costume bleu rayé", "bouton noir", "raie de côté", "Winnie l'ourson" (en rapport avec la cravate), etc. Calvin Klein (l'animateur) héla la foule afin qu'elle vienne assister à la conférence exceptionnelle sur l'intérêt des nouveaux modes de ventes. CK m'annonça avec une certaine fierté en louant la caution scientifique de ces nouvelles tendances sociales. Rien de tel pour flatter mon égo qui n'en avait pas besoin de tant.

En écoutant "manche retournée", "ruban bleu" et "dent de requin" se lancer dans de longues joutes verbales sur leurs techniques de vente et de persuasion, je me rendais compte que le commercial vit pour notre bien. Et dire qu'on ne le reconnait pas assez dans nos sociétés serait un euphémisme. Il souffre d'un certain anonymat alors qu'il se sacrifie sans cesse pour qu'on puisse jouir de toutes les nouveautés gastronomiques, mécaniques ou informatiques du monde.

Devant cette tragédie skipirienne, je ne sais pas si j'ai contribué à apporter ma force de vente aux quelques rares courageux venus assister à cette mascarade mais je me suis régalé de macarons. Quant à mon travail, je ne crois pas que CK n'en ai fait allusion. Pas plus que moi. Je ne ferais pas un bon commercial moderne.

Si vous n'êtes jamais allé dans un salon, une foire gastronomique ou une exposition organisée par une grande marque, courez à la prochaine sous peine ne n'avoir jamais vraiment vécu.

Prochainement, je vais initier ma nièce au salon des livres anciens en espérant lui montrer que les livres d'enfants d'antan c'était vachement mieux que toutes les nouveautés technologiques que les commerciaux s'attèlent à nous vendre. Du moment qu’elle a son téléphone portable, sa console de poche et son lecteur MP3, je suis sûr qu’elle saura m’écouter…

B.

Les affres de l'administration

L’autre jour je me suis amusé à ranger mes papiers. Issu d’une famille recomposée décomposante, l'un des plus intenses moments de solitude survient quand j'oublie des legs provenant d'une branche éloignée de ma famille et que je vais devoir l’expliquer à ma femme.

« Chéri ? On a reçu un chèque de 3000 euros sur notre compte... Tu peux m’expliquer ?»

Ma première réflexion, à l’entente de la douce et chaleureuse voix de ma femme me demandant de m'expliquer, me fait passer généralement quelques gouttes sur le front en imaginant que je dois lui justifier un énième oubli de courses ou comment on va faire avec un 4ième enfants.

Alors imaginer quand il s’agit d’argent.

« Ma douce tu sais que mamie Augustine est décédée le mois dernier. Il paraît que j’étais son beau petit fils par alliance préféré ».

Détail important, chaque famille qui possède plusieurs beaux petit-fils par alliance doit sérieusement préparer son arbre généalogique afin d’éviter toute confusion au moment de partager le gâteau de la vieille mamie radine qu’on ne voyait qu’à noël tous les 5 ans.

Revenons à nos bas de laine. Lorsque après une bonne demi-heure d’explication, passant sur le fait que j’ai eu une aventure avec la tante du filleul du beau frère de la sœur de mamie Augustine, elle finit par s’extasier devant une telle somme qui va nous permettre de finir l’aménagement de la véranda cet été.

Le charme d’une famille recomposée d'échelon 5 est le fait qu’à chaque mariage ou autres baptêmes, on découvre de nouveaux membres de « sa » belle et grande famille.

Lors du baptême de la nièce du beau frère de ma demi sœur, autrement dit une parfaite inconnue, j’ai fait de très intéressantes rencontres. A ce propos, je tiens un classement à la grande horreur de ma femme qui me répète sans cesse que les gens de la famille ne doivent pas inspirés mes idiomes ou mes inspirations de pseudo écrivain traumatisé dans mon enfance.

Une fois sa culpabilité effacée, elle est sans doute ma plus grande complice quand elle décrit avec justesse les nombreux personnages de ces repas et s’amusent à les rencontrer afin de m’en faire un récit toujours très croustillant.

A ce baptême donc, je fis la connaissance d’Eugène et de son jeune fils Mac ! Il se prénomme ainsi en hommage à l’ordinateur d’une célèbre marque en forme de pomme croquée. Je n’invente pas, il a passé tellement de temps devant son ordinateur pendant ces études et sa vie que d’avoir un fils intitulé « Mac » était un prolongement naturel de son plus fidèle compagnon.

Je ne peux toujours pas m’empêcher de me demander si parfois il débranche son fils, s’il y ajoute des nouveaux logiciels ou si il lui a intégré une carte graphique. Ces gens charmants vivent dans le sud de Southampton en Angleterre et sa femme Susie a créé un site internet où elle recycle les timbres usagés non tamponnés pour les redistribuer aux associations qui n’ont pas de moyens ou qui n’ont tout simplement pas adhéré à la mode des emails. Après avoir hésiter à me porter à leur table pour le fromage, je ne pu m’en détaché qu’au moment du rab' de café.

Toutefois, les numéros 1 de ma liste restent Icham et Marie, rencontrés lors de la barmitza de la fille de la cousine de mon beau père. Marie est une jeune institutrice et Icham est docteur en sciences physiques. Icham est issué d'une famille catholique et Marie d'une famille musulmane. Les parents de Marie, Idir et Fatima Bachir sont égyptiens. Ils ont appelé leur fille Marie Isis en honneur à Marie Curie car ils sont tous les deux profs de physiques et ont une grande passion pour le destin de cette femme.

C’est d’ailleurs par des amis à ses parents, tous deux également professeurs , que Marie a fait la rencontre d’Icham son futur mari. Icham est le fils adoptif de Bernard et Bianca Durand qui ont enseigné pendant 15 ans en Egypte… Je ne plaisante pas.

Lors de ce repas, ma femme et moi avons immédiatement été interpellé par la fraicheur et la sympathie de ce jeune couple avec qui nous avons passé les 3 longues heures de ce repas gargantuesque, et désespéramment ennuyeux, à nous raconter des anecdotes de voyages, de collègues...

L’anecdote la plus drôle, c’est quand Icham s’est présenté comme M. Marie ou Mme Bachir. Surpris et curieux je constatais une nouvelle fois la grande incompétence ou plutôt la grande rigidité de l'administration.

Lors de leur mariage, le maire de leur commune a fait preuve d’une ignorance suprême ou d’un délit de "il ne faut pas se fier aux apprances" flagrant. Pour le maire, il semble que Icham, homme issue d'une famille catholique et Marie, dont les parents sont musulmans, c'était trop complexe pour sa paroisse. En étant persuadé que Marie était catholique et Icham musulman, il a pensé assez logiquement que leurs parents, sous l'emprise de LSD, leur avaient donné un nom de fille pour Icham et d’homme pour Marie…

Evidemment l'impensable arriva, il a déclaré mari et femme Monsieur et Madame Marie et Icham Bachir. Sur le livret de famille, Icham s’appelle Marie Isis Bachir et Marie Icham Jospeph Durand, vous suivez toujours ?

Le plus stupéfiant c’est que lorsqu’il demande de nouveaux papiers, on leur refuse car ils ne peuvent justifier d’une identité exacte. Certaines personnes amusées de l’histoire ont essayé de faire avancer leur dossier, rien à faire, et pire, le maire qui les a marié il y a 3 ans est décédé depuis. Une des solutions les plus loufoques pour remettre de l'ordre dans leur identité serait de peut être divorcer et se remarier afin de bénéficier d’un nouveau livret de famille. En attentant Icham est toujours devant la législation M. Marie Isis Bachir… C’est à dire personne.

Ainsi, depuis 5 ans, je crois que j’ai goûté à tous les plats tradionnels des cinq continents, me suis converti au bouddhisme, au judaïsme doux et à l'islam progressiste. Je ne pense avoir aucun weekend de libre entre le 15 mai et le 30 septembre pour les 12 années à venir mais le plus gratifiant c’est que j’ai encore beaucoup de personnes hors du commun, psychopathes, ennuyeuses, drôles, charmantes, chiantes ou admirables à rencontrer… La famille quoi !

B.

L’importance de trouver un titre


Dès je me suis mis à réfléchir sur la manière la plus agréable de faire partager une chronique (sur ce point, je me promets un jour d’essayer de comprendre le besoin des pays riches de toujours expliquer la futilité de la vie quotidienne), la première idée qui m’ait venue à l’esprit c’est de trouver un titre. Je dois avouer que je n’ai jamais saisi l’importance ou l’angoisse de trouver un titre à tout ce que l’on entreprend ou créé.

Pourquoi a-t-on besoin d’un titre ? Il est vrai qu’une œuvre cinématographique sans titre ou qu’un livre sans nom ne nous donnerait probablement pas l’envie irrésistible de s’y rendre ou de le lire !

Toutefois, si nous y pensons quelques instants, est-ce que le premier film du très célèbre tryptique « Le Parrain » serait un moins bon film s’il n’avait pas eu de titre ou si on l’avait baptisé « Pique-nique dominicale chez les Corleones » ? Ou dans la même idée, un livre sans titre serait il moins bon ? Je vous l’accorde des oeuvres comme celles de Dominique Rocheteau (sans élitisme aucun pour l'ancienne gloire des Verts de Saint-Etienne dans les années 70) ou ceux de Paul Loup Sulitzer (ancienne gloire littéraire à qui l’on reproche de n’avoir jamais écrit un livre comme tant d’autres) s’en passeraient fort volontiers.

Elemenaire comme dirait l'autre, un titre c'est ce qui permet de référencer l’œuvre selon une catégorie. Si vous êtes des amateurs des comédies pseudo romantiques des années 1990, vous imaginez finalement très mal le splendide « Armées des 12 singes » de l’excellent ex-Monthy Python, Terry Gilliam, au côté de « Vous avez un message » avec Tom Hanks et Meg Ryan, alors qu’au final le jeu d’actrice de Meg Ryan fout plus les jetons qu’un virus exterminateur de la race humaine.

Mais surtout sans un titre, comment expliquer à votre cousin inculte, qui lui les utilise toujours à contre emploi, que « Rocky » c’est grosso-modo l’histoire d’un mec qui marche en fouettant l’air de ces poings et qui un jour est choisi pour allait défier le champion du monde de boxe en titre et pas la suite de Rox et Rouky, le seul film qu’il ait jamais vu au cinéma.

Pire, imaginez la scène surréaliste si ce négligé de la caboche venait à expliquer à sa sœur décérébrée un film qui n’a pas de titre et qui ne fait référence à aucune catégorie.

« Mais si tu sais c’est ce film où l’acteur principal, un réparateur de câble sans fil, vient en aide à une fillette abandonnée par sa mère à des tonneliers qui se fait enlever par des extraterrestres et qui tombe enceinte »

Si il avait eu connaissance des titres il n’aurait pas confondu, entre autres, « Rencontres du troisième type » et « les Misérables ». Dieu merci, aujourd’hui la mode des "pitchs" remplacent désormais tous les meilleurs titres du monde.

L’importance du titre est alors peut être l’une des plus grandes inventions de notre monde et l'une des plus salvatrices pour la santé mentale de nos familles. Il permet en tout cas de faire écho dans notre imagination collective afin de meubler nos longues discussions entre amis.

Le comble, c’est que je dois me résoudre moi aussi à trouver un titre à ces « chroniques » ou « billets d’humeur » ou « grands délires égocentriques sur les choses qui m’entourent (et par conséquent qui vous entourent).

En attendant d’y parvenir, je vais aller louer ce film où des extraterrestres (encore eux!) avec des gros cerveaux sous un bocal tentent de tuer le Président des Etats-Unis interprété par le Joker et qui s’amusent à cloner la tête de la fille de Sex and the City sur un chien… Vous voyez de quel film je parle ?


B.