En fouillant dans son cabinet de curiosités, le Professeur Boilot met à jour un recueil de chroniques dont il relate ici les meilleures feuilles. Signé d'un simple B, ces écrits proviennent d'une époque récente. De l'oeuvre d'un homme, d'une femme ou encore d'un membre de la famille du professeur, le mystère demeure mais n'en gache pas le plaisir de les découvrir...

samedi 13 mars 2010

Y en a un peu plus, j’vous laisse quand même ?

Il y deux semaines, j'ai reçu un coup de téléphone de mon ami rédacteur éditeur vaudou exorciseur qui me supplia d'accepter une invitation à la 24ème foire international du coin où viendront s'entasser des milliers de personnes, des amateurs d'orchidées aux inconditionnels du démonte pneus mécanique.

Avec une vague idée du non intérêt que pourrais m'apporter une participation à une conférence sur l'intérêt de la science dans l'évolution des techniques de vente des produits électroménagers à faible consommation électrique, cette proposition a réveillé en moi d’anciens souvenirs merveilleux de mon enfance.

Loin de moi l'envie de m'asseoir sur un divan à 2000 euros pour vous conter quelques souvenirs douloureux de mes jeunes années, mais plutôt l'irrésistible besoin de vous rapporter une drôle de tradition effectué par mes parents.

Ce gang diabolique avait pour passion de se rendre à tous ce que comptait la région de foires, de salons en tous genre afin de découvrir les dernières innovations en termes de gastronomie en altitude, de meubles en PVC ou de luminaires en papier recyclable. Ils étaient incollables sur les dernières tendances et n'hésitaient pas à rapporter des échantillons qui remplissaient le dernier rayon des placards de la cuisine ou le viel établi inutilisé de mon père.

De par mon jeune âge, ces dimanches animés étaient pour moi l'occasion d'ouvrir les yeux sur un monde incroyable bien loin des supermarchés, des cours d'écoles ou des gymnases de sport. Et quel bonheur pour un gosse de la campagne de voir venir à lui tous ces nouveaux produits qu'on se jure d'avoir quand on sera "grand".

Lors de ces foires aux bestiaux, l'occasion est trop belle pour étaler sa science et pour s’émerveiller devant l'épluche carotte à antenne parabolique. Arpentant les longues travées, ce que j'appréciais le plus ce sont les démonstrations. Je restais des heures devant le camelot de casseroles anti-adhésives sans fond, devant l'aspirateur Jules verne qui aspirerait le centre de la terre ou devant Entrax le produit détachant capable de dissoudre de la peinture industrielle en 3 secondes.

Mon monde se résumait à ces quelques mètres carrés. Je rêvais que moi-même je puisse faire rêver les foules avec mes talents de bazardeur en usant de longues litanies sur le pouvoir de faire les plus belles pelures de pommes de terre. En grandissant, je compris que derrière ce monde enchanteur, il n'y avait pas de petit lapin qui ouvrait une porte magique mais des responsables marketing qui plaçaient des produits sur un big market et qui devaient recruter les plus adroits bonisseur du monde.

Ayant discuté avec de nombreux démonstrateurs, j'ai rapidement compris qu'il fallait en lancer des phrases chocs du type "attention madame avec le IKX 4500 de la gamme "jvousabuse", votre gratin d'aubergines ne sera plus jamais raté, doré dessus et croustillant dedans pour un plaisir des yeux Madame, pour un régal des papilles Monsieur..." et qu'il fallait avoir les nerfs solides et la langue bien pendue pour espérer gagner sa pitance à la fin de la semaine.

En arrivant donc à cette fameuse foire, je fus accueilli comme il le fallait par le responsable de la communication et des manifestations à but lucratifs du salon, le délégué aux évènements intra-muros du consortium des bailleurs de fonds de la foire, le préposé municipal qui jouait le rôle du délégué municipal de service, et d'une batterie de commerciaux provenant de toutes sortes de sociétés en tout genre inviter à participer à la conférence.

Ma place au milieu de cette horde de lycaons affamés me laissait perplexe. Alors quitte à en faire parti, autant essayer de trouver le moyen de s'amuser. J'avais rebaptisé chacun de mes confrères de table. "Costume bleu rayé", "bouton noir", "raie de côté", "Winnie l'ourson" (en rapport avec la cravate), etc. Calvin Klein (l'animateur) héla la foule afin qu'elle vienne assister à la conférence exceptionnelle sur l'intérêt des nouveaux modes de ventes. CK m'annonça avec une certaine fierté en louant la caution scientifique de ces nouvelles tendances sociales. Rien de tel pour flatter mon égo qui n'en avait pas besoin de tant.

En écoutant "manche retournée", "ruban bleu" et "dent de requin" se lancer dans de longues joutes verbales sur leurs techniques de vente et de persuasion, je me rendais compte que le commercial vit pour notre bien. Et dire qu'on ne le reconnait pas assez dans nos sociétés serait un euphémisme. Il souffre d'un certain anonymat alors qu'il se sacrifie sans cesse pour qu'on puisse jouir de toutes les nouveautés gastronomiques, mécaniques ou informatiques du monde.

Devant cette tragédie skipirienne, je ne sais pas si j'ai contribué à apporter ma force de vente aux quelques rares courageux venus assister à cette mascarade mais je me suis régalé de macarons. Quant à mon travail, je ne crois pas que CK n'en ai fait allusion. Pas plus que moi. Je ne ferais pas un bon commercial moderne.

Si vous n'êtes jamais allé dans un salon, une foire gastronomique ou une exposition organisée par une grande marque, courez à la prochaine sous peine ne n'avoir jamais vraiment vécu.

Prochainement, je vais initier ma nièce au salon des livres anciens en espérant lui montrer que les livres d'enfants d'antan c'était vachement mieux que toutes les nouveautés technologiques que les commerciaux s'attèlent à nous vendre. Du moment qu’elle a son téléphone portable, sa console de poche et son lecteur MP3, je suis sûr qu’elle saura m’écouter…

B.

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