En fouillant dans son cabinet de curiosités, le Professeur Boilot met à jour un recueil de chroniques dont il relate ici les meilleures feuilles. Signé d'un simple B, ces écrits proviennent d'une époque récente. De l'oeuvre d'un homme, d'une femme ou encore d'un membre de la famille du professeur, le mystère demeure mais n'en gache pas le plaisir de les découvrir...

jeudi 14 octobre 2010

GREVE, BOULOT, DODO

L'une des choses qui manque le plus à un français lorsqu'il vit à l'étranger c'est le fromage. Personnellement, je ne goute pas le fromage. Suis-je pour autant un mauvais français ? On peut en débattre. Dans tous les cas, ce genre de discussion sur le manque des petits riens de sa terre natale, on les partage des centaines de fois lorsque l'on est invité par des amis locaux. Pour être poli, j’ai du me résoudre à trouver un substitut à ce fameux manque. Ne pouvant trancher entre un Saint-Estèphe, le pâté en croute lorrain et les vides greniers made in France, j’ai souvent pris le contre pied de mes hôtes en leur sortant de longues tirades sur ce qui me manquait le moins. Et sans trop y penser, j'ai répondu une bonne centaine de fois les perturbations dues aux grèves dans les transports en commun.

Ayant résidé dans la chienlit parisienne durant plusieurs années, je suis fier d’avoir compté parmi la horde d’usagers fous de colère lors des grèves des transports publics. Et vu la cadence des grèves, on se surprend à crier souvent contre ces braves gens des transports.

Pour mes hôtes étrangers, je me suis souvent gardé de leur tenir de longs discours politisés sur le bienfait ou pas des grèves à la française ou sur le fait qu'un français passe plus de temps à manifester qu'à lire des livres. Il est évident qu’il ne servait à rien d’apporter de l’eau aux moulins de mes hôtes quant aux clichés qu’ils avaient déjà sur mes compatriotes.

Une chose surprenante toutefois. Lorsque des pays étrangers connaissent des mouvements de protestation sociale (rien à voir avec des pays qui traversent une crise profonde des institutions ou un renversement d’Etat qui amènent violence et drame humanitaire), le quidam étranger aiment à disserter du souffle libertaire des manifestations ou de la revendication des grévistes avec un français. Notons que pour toute personne vivant en dehors des frontières françaises, elle suppose que chaque français en connaît un rayon sur les tenants et aboutissants d’une grève, voire d’une révolution. Et comme chaque français aime à exposer son point de vue, même quand on lui demande pas, ça devient un pied total de laisser cour à son égocentrisme le plus exacerbé.

Ainsi, j'ai plusieurs fois exposé, à une audience docile et bienveillante, les rudiments de base d’une bonne vieille grève à la française (ce que je ne ferai pas ici). Mais là où j’avoue avoir pris un plaisir non dissimulé, c’est à rapporter des anecdotes et des tranches de vie de personnes qui ont galéré pendant ces intenses moments où l’on prend sur soi.

C’est comme cela que je me suis amusé à évoquer, pelle mêle, la manière dont chaque personne doit se transformer en Peter Pan pour espérer se rendre à son travail, les hordes de cyclistes sauvages, les scooters sur les trottoirs, les trottinettes sur les scooters, les bus qui ne s'arrêtent plus pour éviter de dépasser les 50 miles à l'heure et échapper ainsi à une atroce explosion, les divorces annulés, les farandoles de coups de poing qui volent pour éviter les coups de matraque de la marée chaussée, les bousculades, l’hypocrisie des politiques et des syndicats au Journaux télévisés du soir, les illusionnistes qui essayent de trouver une place dans les rames pleines à craquer des métros, les marcheurs d'un ou deux jours, les concerts annulés, les déménagement qui n'arrivent pas, les fêtes d'anniversaire qui n'ont pas lieu, etc.

De tout cela j’ai conservé une liste improbable de choses qu'on ne peut pas (plus) faire en cas de grève dans les transports en commun en France. Celle-ci m’a évitée des repas trop long, de conclure une discussion prolixe et qui m’a procurée de bien belle rencontre, mais ça c’est une autre histoire.

Voici donc les 20 choses (complètement inutiles et subjectives) que nous ne sommes plus censés faire en cas de grève des transports en commun en France :

1. Manger un sandwich thon-mayo dans le métro,
2. Avoir une place assisse dans le Paris-Rennes de 17h50,
3. Arriver à l'heure pour son vol de 08h20 à destination de Frankfort,
4. Louer un velib, un velove ou un vélo à louer tout simplement,
5. Aller travailler de bonne humeur,
6. Quitter le bureau de bonne humeur,
7. Prendre les enfants en sortant du bureau,
8. Rentrer chez soi avant 22h,
9. Rouler à plus de 15km/h dans les rues,
10. Rouler dans les rues,
11. Repasser une chemise propre pour le lendemain,
12. Cuisiner un cake au pain d'épices pour le pot de départ d'André le portier de sa boite,
13. Se rendre chez sa grand-mère près d’Issoudun,
14. Recevoir un colis de France loterie,
15. Regarder un bon film à la télé dans un aéroport,
16. Discuter de l'intérêt de la grève avec un gréviste,
17. Comprendre un étudiant qui fait la grève,
18. Se poser des questions sur son avenir,
19. Faire un footing et croiser le Président de la République,
20. Manger des pétoncles et une glaviole avec votre vieil oncle Philibert (car vous avez perdu son numéro et son adresse et comme il n’y a pas de transport, etc.)


Si cette liste a souvent fait rire ou pleurer mes hôtes, je garde en mémoire une question qui fit suite à l’énoncé de cette liste. Je m’en rappelle plutôt bien car finalement je n’ai jamais su quoi répondre : « est-ce que tu crois que le monde va s’arrêter de tourner parce qu’il y a 1% de la population mondiale (la France donc) qui s’est mis en grève ? ».

Comme quoi on ne se fait pas toujours de bons amis à l’étranger !

B.

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