En fouillant dans son cabinet de curiosités, le Professeur Boilot met à jour un recueil de chroniques dont il relate ici les meilleures feuilles. Signé d'un simple B, ces écrits proviennent d'une époque récente. De l'oeuvre d'un homme, d'une femme ou encore d'un membre de la famille du professeur, le mystère demeure mais n'en gache pas le plaisir de les découvrir...

mercredi 13 octobre 2010

SANG MÊLÉ

Le dimanche, conventionnellement, il y a du sport dans les stades et pire à la télévision, peu importe où l’on vit sur cette planète.

Le fils de mon voisin, intitulé Julien, est venu nous vendre il y a quelques semaines un calendrier de son nouveau club de rugby, sa dernière folie en terme d'activités sportives. Je précise un calendrier sobre avec des photos des différentes sections du club.

A bien des égards, le fils du voisin est un sujet permanent de franches rigolades que l’on s’octroie en famille. Si c’est peu charitable de notre part, il a pour lui d’être un garçon bien élevé et poli mais faisant preuve d’une absence totale de compréhension des choses. Bref c’est un fonceur qui ne s’élève pas franchement au dessus de la mêlée. Avec ses qualités et ses défauts, le garçon s’était donc mis en quête d’un nouveau sport où il pourra se dépenser sans compter au lieu de prendre ses petits camarades comme terrain de jeu à défricher à grands coups de tatanes.

Ce gaillard de 15 ans et son mètre 85 cm pour 80 kilos, est également du genre batailleur, ce qui n’est pas pour me déplaire quand il s’agit d’engager une discussion. Et je n’ai pas pu m’abstenir d’engager avec lui un passionnant récit sur l’histoire du rugby. Ca devait être évidemment un dimanche.

Bille en tête, au risque de lui déclencher une furieuse paralysie du lobe droit, je lui annonce que le rugby se joue à 16 et non à 15. A ce moment précis, j’ai pu lire dans ces yeux une certaine compassion pour le non amateur de sport que je suis. Il eu la politesse de ne pas me balancer au visage : « hé grand père, tu sors d’où ? T’as un problème de lentilles ou tu n’as jamais remarqué que le rugby à 15 se joue toujours à 15 ? »

Pour les initiés ou les amateurs, excepté le fils de mon voisin, nous avons tous été tentés de répondre à cette question ôh combien existentielle :

« Pourquoi 15 et pas 16 joueurs ou à un nombre encore plus élevé de joueurs ? »

A la suite de recherches pointilleuses et éclairées, j’ai pu donc lui exposer mes explications, aussi farfelues soit-elles.

« ça se joue pas à 22 car sinon c’est le bordel, on n’y voit plus rien »
« en fait au début ils étaient 16 mais c’est la mère d'un certain Tom Cunningham qui voulait pas qu'il joue et qui l’a puni»
« deux équipes de 16, ça fait 16 et 16 = 32 et ça n’existe pas dans le calendrier »…

Toutes ces approximations étaient assurément très loin de la vérité, quoique la dernière aurait eu de la gueule.

Dans les manuels d’histoire du sport (future matière scolaire d'ici une dizaine d'années, j'en fais le pari), on nous dépeint ce sport comme prenant ces racines en Angleterre. Ce qui est vrai. Le rugby serait né sur les terrains de sport de la Public school de la petite ville de Rugby au sud de Leicester. Un jeune lycéen, William Webb Ellis, pose alors les premières bases de ce nouveau sport en enfreignant les règles du match de football auquel il participe et en déposant à la main le ballon derrière les buts. Le rugby fut assez longtemps réservé aux seuls gentlemen anglais avant de s’étendre dans les couches populaires et au reste du monde (merci les colonies) et donc au fils de mon voisin. Maudit effet papillon quand tu nous tiens !

Mais si cette histoire est vraie, elle n’en est que partielle. Ce jeune William Webb Ellis s’inspira d’un événement plus ancien qui a sévit dans sa ville natale.

Bien avant le 19è siècle, d’épiques jeux se déroulaient lors de la fête du village. Comme souvent, les rugbymen invitaient leurs voisins de la ville de « Melay » à se joindre à eux pour participer à la fête du village qui se déroulait sur 3 jours. A la fin de ces trois jours, les chefs des deux villages décidèrent d’organiser un jeu peu ordinaire et tout à fait unique pour l’époque. Les hommes qui avaient survécu à la débauche de victuailles et d’alcool furent réunis dans un champ. On plaçait au milieu de ce champ ce qu’il resta de nourriture, le plus souvent une panse de porc bien juteuse. L’équipe qui arrivait à s’emparer de la panse et à la mettre dans le camp adverse, symbolisé par une ligne blanche, gagnait le droit de s’encanailler avec les femmes des perdants.

Rugby gagna et devinez combien ils étaient ? 15 ?

Et non ils étaient 18. Mais parmi eux ils y avaient trois gays (non déclarés) ou gentlemen qui ont refusé leur trophée par courtoisie ou par fatigue. Ce sont au final 15 mâles qui ont eu droit de profiter des charmes intimes des femmes des perdants. Si cette légende a un arrière gout de machisme puisque les femmes n’avaient pas leurs mots à dire, quelles femmes aujourd’hui pourraient se vanter de résister à pareil sort ?

Malheureusement, ce jeu ne connut pas un essor fulgurant et on ne renouvela pas l’expérience les années suivantes par manque d’homme survivant à la fin de la fête et par manque de nourriture. Nous sommes en droit alors de nous demander comment le jeune William Webb Ellis a eu vent de cette légende ? C’est que son arrière arrière grand père fut procréer à cette occasion et que sa famille à du subir d’être considéré à Rugby comme de vulgaires sangs « mêlés ».

Quant au fils de mon voisin, je ne crois pas que cette folklorique épopée l’ait convaincu de ma bonne foi. Pas plus qu'elle l'a décidé à continuer ou à arrêter le rugby. Je crois seulement qu’il va être capable d’engendrer quelques désastres ici ou là dans les prochaines semaines. Le pire, c’est qu’il a réussi à me vendre un calendrier que je poserai à côté de la télévision pour inscrire tous les rendez-vous sportifs des dix prochains dimanche.

B.

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